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UN PHILOSOPHE du
XXme SIÈCLE
Un
colloque sur «La philosophie de Lanza del Vasto» s’est tenu à Pise
les 26 et 27 janvier 2001. La séance du vendredi a eu lieu à
la salle d’ honneur de l’ Université (Palazzo della Sapienza), celles
du samedi se sont déroulées auprès de l’ hôtel Santa Croce in
Fossabanda, partie réadaptée d' un couvent de Franciscains du XIVème
dont Lanza a habité l’une des cellules lorsqu 'il faisait ses études
qui ont débouché sur la maîtrise en philosophie, en 1928.
Un
précédent colloque sur la pensée théologique et non-violente du maître
avait été organisé il y a six ans à Naples, auprès de la Faculté
Méridionale de Théologie – section San Luigi; un autre s’est tenu en
2006 à l’Institut Catholique de Toulouse et les Actes
en ont été publiés en décembre. Il manquait une étude collective
d’ensemble sur sa philosophie. Celle-ci, sans aucun doute, l’accrédite
en tant que penseur original et profond, mais a été négligée dans une
certaine mesure jusqu’à présent, du fait de son indépendance des
paramètres ordinaires de la philosophie occidentale. Les nombreux
mémoires qui ont été présentés sur la pensée de Lanza del Vasto n’ont,
eux-mêmes, jamais véritablement situé sa contribution philosophique.
Au
terme du colloque, Manfredi Lanza a présenté le volume des lettres de
jeunesse de Lanza del Vasto dont il a dirigé l’édition. De ces lettres
des années Vingt et Trente se dégage l’image de l’homme qui cherche
encore sa voie, mais déjà résolument ancré dans l’antifascisme et
l’antimilitarisme. Le professeur G. Maes, présent au colloque en tant
qu’orateur adjoint, prépare une édition française (augmentée) de ce
même livre.
Dans
le cadre du colloque, environ vingt intervenants se sont penchés sur la
personnalité du penseur. Certains orateurs ont comparé ses
positions philosophiques à celles d’autres personnalités déterminantes
pour sa formation: celles de Gandhi (F.C. Manara), dont Lanza del Vasto
a été le disciple dans les années Trente, pour revenir ensuite fonder
des communautés gandhiennes en Europe; celles de Capitini (Altieri),
son condisciple à l’Université dans les années qui ont précédé leur
double engagement dans la non-violence; des milieux du spiritualisme
français (P. Pellegrino) qu’il a fréquentés. D’autres contributions ont
concerné son engagement pour un changement d’esprit au sein de l’Église
(S. Tanzarella), ses orientations pour ce qui concerne la pédagogie (E.
Butturini) et sa théorie en matière d’esthétique (M. A. Malleo).
Les
contributions plus proprement philosophiques ont été axées sur la
question essentielle qui se pose à propos de la philosophie de Lanza
del Vasto: que faut-il penser des relations trinitaires multiples que
l’auteur découvre dans la réalité humaine et divine? C’est à les mettre
en lumière qu’il a consacré son ouvrage philosophique, La Trinité Spirituelle,
version réélaborée du mémoire de maîtrise. Bien des commentateurs
ont souligné cet aspect trinitaire et ont cru y reconnaître l’élément
fondateur de sa philosophie. En effet, Lanza del Vasto nous propose un
système trinitaire de relations; on a voulu rendre compte de cela par
la formule «La relation est le fondement» (A. Fabris) et c’est sur ce
concept que D. Vigne a bâti son volumineux mémoire soumis à la
Sorbonne.
Cependant
sa philosophie, dont il peut sembler qu’elle confère aux concepts une
portée absolue dans un esprit néo-idéaliste en son volet trinitaire (A.
Fabris), inclue également une philosophie en tant qu’expérience (G.
Salmeri) et une philosophie en tant que récit (E. Baccarini) qui ont
pris leur essor surtout lorsqu’il a directement connu le pluralisme des
races, des langues, des cultures, des religions, des civilisations, à
l’occasion du voyage en Inde, ainsi que du pèlerinage à pied au Proche
Orient. Face à ce pluralisme quasi infini, il a cherché un point de
convergence et l’a trouvé en repérant dans l’hindouisme le thème
homologue de la trinité chrétienne. Mais voilà que ce point d’ancrage
devenait celui auquel aboutit la recherche d’une multitude de
consciences (P. Trianni), et même de toute conscience. Cette recherche
s’appuie par ailleurs également, de façon concrète, sur les réflexions
des grands mystiques (M. Vannini) et peut notamment se reconnaître à
l’emploi des doubles négations, qui justement caractérise largement les
Orientaux et les mystiques et dont un exemple parfait est l’expression
même de «non-violence», chère à Gandhi (A. Drago). Pour une
compréhension de la philosophie de Lanza del Vasto dans son
intégralité, s’avère fondamentale la distinction établie et exposée par
le professeur G. Reale entre la métaphysique ontologique,
caractéristique de l’Occident (soit qu’il en ait fait le fondement de
la philosophie, soit qu’il lui ait refusé toute valeur), et l’hénologie
ou métaphysique de l’Un, typique de l’antiquité grècque, mais
qu’Aristote a assujetti à l’ontologie, qui seule a survécu dans la
mentalité des modernes. Les néo-plotiniens seulement ont donné suite
(par moments) à la tradition hénologique, ce qui explique que Lanza del
Vasto ait considéré Nicolas de Cuse comme son précurseur.
Ainsi
donc, la conception trinitaire de Lanza del Vasto relève d’une
orientation philosophique différente de la conception trinitaire
traditionnelle. Notre auteur a une position originale dans le giron de
la pensée trinitaire (D. Bertini, F. Vermorel, P. Pellegrino), parce
que sa préoccupation dominante est celle de la conciliation de l’Un de
l’hénologie et du Trois de la trinité.
C’est
ici qu’intervient la dialectique, dont Lanza del Vasto, dès son mémoire
de maîtrise, où il s’était montré extrèmement critique à l’égard de la
philosophie occidentale, en particulier à l’égard de Descartes, de
Kant, de Hegel (A. Fabris), avait compris à quel point elle constitue
un terrain semé d’embûches. Il a considéré le dernier des philosophes
cités comme son «ennemi intime» car, d’un côté, il admettait qu’il
représente «une pierre angulaire dans l’histoire de la philosophie» et
que «l’on ne peut éviter de se rapporter à lui»; mais, d’autre côté, il
réduisait sa philosophie à une «critique de la raison impure», dans la
mesure où il lui semblait que l’auteur eût traité de la dialectique
d’une façon fallacieuse et déroutante. Cette définition, certes, est
une boutade, mais elle rend bien compte de l’embarras dans lequel
sombrent tous ceux qui s’efforcent de comprendre et de faire avancer la
dialectique de Hegel. Lanza del Vasto est de l’avis, lui, qu’il faille
remonter au «divin maître de Cuse», dont il veut éclaircir et améliorer
la méthode de telle façon qu’à partir du multiple on parvienne à l’Un,
de la duplicité à l’unité, de la variété à l’union. Son programme est
celui de la «philosophie de la conciliation».
Comme
on le voit, à partir de la vie pratique et de l’enseignement de la
non-violence aux disciples dans sa communauté ainsi qu’aux gens des
divers pays du monde, l’engagement de Lanza del Vasto s’est élevé
jusqu’à un niveau théorique, où il a mis à jour la question qu’il
considère essentielle de toute philosophie: celle de la dialectique
trinitaire. Et c’est à ce niveau qu’il a placé le point de convergence
entre la philosophie de l’Occident et celle de l’Orient. Il est vrai
qu’il n’a pas parachevé sa dialectique; il n’est parvenu qu’à proposer
des formules d’amélioration de la méthode de Nicolas de Cuse. Mais à
une période où Lanza del Vasto devait s’atteler à de tout autres
tâches, on peut bien dire que son énergie intellectuelle a accompli un
travail remarquable, ne fût-ce qu’en renouant avec les grands problèmes
et en attirant l’attention sur ce qui peut permettre à la philosophie
occidentale, après la grave et très longue crise qui a été la sienne,
de redevenir «amour de la sagesse».
En
définitive, le colloque a pu finalement tracer le profil du Lanza del
Vasto philosophe: il a défini son cadre d’appartenance dans l’histoire
de la philosophie (le néoplatonisme, composante si minoritaire qu’elle
en a été presque oubliée), il a précisé quelle est sa place dans le
courant auquel il se rattache (synthèse et avancement dans les
conceptions trinitaires du passé), il en a apprécié la valeur
philosophique et théologique (son originalité à suggérer pour le moins
une nouvelle réflexion, sinon une avancée résolue sur les questions
fondamentales qui sont à la base d’une philosophie occidentale incluant
les néoplatoniciens); a constaté la nécessité qu’elle soit l’objet
d’études plus approfondies, non seulement d’ordre philologique, mais
visant par ailleurs à se pencher sur divers inédits philosophiques
(dont un texte sur «Hegel et la dialectique») et à s’interroger
aujourd’hui, au temps des synthèses ponctuelles entre Orient et
Occident, sur les modalités d’une reprise en compte de cette synthèse
bien plus large qui s’appuie sur le fond intellectuel commun aux deux
grandes traditions.
Lanza
del Vasto a le mérite d’avoir devancé les recherches poussées que l’on
est en train de mener (à commencer par celle du professeur Reale sur la
pensée de l’antiquité), dans la mesure où, dès son mémoire de maîtrise,
il a conçu ce renouveau radical. Le colloque a identifié le thème du
trinitarisme, sur lequel s’est joué le choc frontal entre la pensée
occidentale et la pensée orientale, comme l’élément clé de ce
renouveau. A partir du XIIIme
siècle, l’humanité a souffert d’une fracture culturelle due aux
divergences dans l’interprétation de ce thème. Seul l’Orient a continué
à élaborer le thème en question, alors que l’Occident se repliait sur
une formule qui a été ressentie comme abstraite par les populations.
Lanza del Vasto a le mérite d’avoir pensé en termes trinitaires dès sa
jeunesse, et surtout d’avoir su redécouvrir son trinitarisme en Orient,
le reliant aux principes de base de la pensée hindoue. C’est ainsi que
sa philosophie peut être qualifiée à bon droit, conformément à la
définition qu’il en a donnée lui-même, comme une «philosophie de la
conciliation»: eu égard, non seulement à son programme de résolution
dialectique des conflits, mais aussi au pont qu’elle établit entre deux
cultures millénaires, séparées par un profond fossé culturel. De cette
manière les problèmes de la philosophie ont été ramenés aux questions
fondamentales et la personnalité de Lanza del Vasto, philosophe
non-académique, se détache comme celle de quelqu’un qui, au travers de
son expérience de vie, a su définir, par son aventure humaine avant
tout, la tragédie culturelle du XXme siècle et indiquer quelle est la solution possible
des problèmes séculaires de sa philosophie.
Le
colloque a attiré l’attention sur un penseur qui s’est inscrit dans un
courant de la philosophie occidentale pouvant servir de soutien à la
non-violence, du fait qu’il est basé sur la dialectique. Il s’agit du
courant néoplatonicien, qui est en mesure de proposer un réagencement
complet de la philosophie occidentale, grècque et, surtout, moderne.
Ce
faisant, le colloque a encadré pour la première fois la non-violence
dans une perspective philosophique bien déterminée. Aldo Capitini,
déjà, s’était efforcé de le faire en présentant à un séminaire de la
Société Italienne de Philosophie de 1956 un texte au titre très
éloquent. Récemment un chercheur français s’est essayé à son tour à une
présentation philosophique de la non-violence; mais il a dû, lui-même,
admettre qu’il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine.
1) Tra Cristo e Gandhi. L’insegnamento di Lanza
del Vasto alle radici della nonviolenza,
éd. coordonnée par D. Abignente et S. Tanzarella, San Paolo, Milano,
2003.
2) Lanza del Vasto. Un génie
pour notre temps, édités par D. Vigne,
Faculté de Théologie de Toulouse, Toulouse, 2006.
3) Depuis cinq ans la Mairie de San Vito dei Normanni, sa ville natale,
a lancé un prix réservé aux mémoires de maîtrise sur Lanza del Vasto.
Parmi les mémoires récompensés a été publié: M. Corazza, L’Arca di Lanza del Vasto. Aspetti
socio-religiosi di una comunità nonviolenta,
Schena / Il punto, Fasano (BR), 2005. Le mémoire qui a abordé le plus
pleinement la pensée théologique et religieuse de Lanza del Vasto a été
celui de P. Trianni, intitulé La
rilettura escatologica della non-violenza gandhiana nel pensiero
religioso di Lanza del Vasto et présenté
en vue d’une licence en théologie auprès de la Faculté de Théologie de
l’Italie Centrale, Florence, en 1999.
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